Compte rendu
3ème Forum Social Limousin

Samedi 09 octobre 2004 - Le Villard

Compte rendu du 3ème Forum Social Limousin

Atelier 1 : Environnement, "croissance, décroissance"
compte-rendu de Christophe Bellec

Cet atelier s’est déroulé en deux temps. Tout d’abord Freddy Le Saux, rapporteur des travaux de cet atelier, a présenté durant une quarantaine de minutes les grandes lignes de la problématique du réchauffement climatique. Il a pu ainsi montrer que la logique de la décroissance s’appuie directement sur ce problème de réchauffement. Sur la base de ce constat alarmant s’est ensuite ouvert le débat proprement dit, qui a permis d’échanger des points de vue sur la manière avec laquelle peut se construire un mode de vie décroissant, tant sur le plan individuel que collectif.

Présentation des problèmes environnementaux liés au réchauffement climatique.

Freddy précise d’entrée pourquoi le titre de l’atelier est formulé ainsi : c’est bien en partant d’un constat sur l’environnement que peut se construire ensuite un débat sur croissance et décroissance. Et le problème majeur d’environnement est aujourd’hui celui du réchauffement climatique. Attention, ce réchauffement n’est pas une pollution à proprement parler : le CO2 ou le méthane qui sont les principaux gaz à effet de serre (GES) sont tout à fait respirables et non dangereux pour la santé. C’est leur propriété de bloquer la chaleur provenant du sol qui est ici en cause. En quantité raisonnable, cette propriété est d’ailleurs favorable au développement de la vie. Mais c’est l’augmentation brutale du taux de GES dans l’atmosphère qui est le véritable problème : cela provoque un dérèglement climatique beaucoup trop rapide.

Sur le plan scientifique, il n’existe aujourd’hui aucun doute sur le phénomène grâce à l’existence du GIEC. C’est une commission créée sous l’égide de l’ONU et qui regroupe des milliers de scientifiques de tous les pays. Ils sont chargés de synthétiser dans des rapports l’avancée des recherches sur le réchauffement. Tous leurs rapports ont été votés à l’unanimité des membres. Le dernier, paru en 2001, est très clair : « Seules de très fortes réductions des émissions de GES pourraient atténuer les effets du réchauffement ». C’est déjà trop tard, le réchauffement est déclenché, on ne peut plus que ralentir sa progression.

Pour bien comprendre à quel point la situation est en train de nous échapper, il faut savoir que les phénomènes climatiques ont une énorme inertie de plusieurs siècles. Même en arrêtant demain matin d’émettre du CO2, la température moyenne à la surface de la Terre augmenterait encore durant plusieurs siècles avant de se stabiliser au bout de 1000 ans environ. Le GIEC a tenté de faire des prévisions d’augmentation de température pour 2100. Suivant les différents modèles, et les différents scénarios, il aboutit à une fourchette entre 1,5 et 6°C, sachant que sur le dernier millénaire, cela n’avait jamais varié de plus de 0,5°C. La période glaciaire précédente avait vu la température être inférieure de 4 à 5°C : il y avait 3 mètres de glace en permanence sur l’Allemagne et le Royaume-Uni, et le niveau des mers était plus bas de 120 mètres !

Que se passera t-il alors avec plusieurs degrés de plus ? Impossible de le savoir puisque c’est inédit dans l’histoire de l’humanité. Le GIEC juge très probable l’augmentation du nombre des phénomènes climatiques violents (tempêtes, orages, canicules, cyclones,…). Un risque majeur concerne les écosystèmes naturels. Un changement de température brutal va modifier l’emplacement des aires favorables pour les espèces végétales. Avec un réchauffement de 4°C au XXIème siècle, on estime un déplacement vers le nord de ces aires de 500 km en 2100. Pour les graminées, pas trop d’inquiétude, mais pour les espèces d’arbres, qui peuvent mettre 50 ans pour atteindre leur maturité et ne se « déplacent » que de quelques kilomètres par siècle, les risques d’extinction sont énormes.

Quel est la cause de ce dérèglement climatique ? Aucun doute n’est plus permis, il vient de l’activité humaine depuis l’avènement de la période industrielle, c’est à dire de l’utilisation massive des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) qui émettent énormément de C02. Un autre problème nous menace sur ce plan, c’est la disparition complète de ces ressources fossiles au cours du XXIème siècle au rythme actuel. L’ère du pétrole n’aura été qu’un flash dans l’histoire de l’humanité. On pourrait croire que c’est une « bonne » nouvelle pour l’effet de serre : fin du pétrole, fin des émissions de CO2. Mais au rythme actuel de consommation avec une croissance de 2% par an, on atteindrait une émission de GES si énorme que même le GIEC ne prend pas en compte cette hypothèse tellement elle semble « folle » : il se passera quelque chose avant (par exemple les océans, qui absorbent aujourd’hui le CO2, se mettront à en émettre eux aussi !)

Comment revenir à l’équilibre ? Il ne faudrait plus émettre que 3 Gtec (gigatonnes équivalent carbone) par an, actuellement nous en sommes à 7 Gtec environ. Aujourd’hui ce sont les pays riches qui sont les principaux responsables : 20% de la population mais 70% des émissions de GES. Avec une population mondiale à 6 milliards de personnes, nous n’avons droit en fait de n’émettre que 500 kg chacun. Pour la France, il faudrait diviser par 4 les émissions, pour les Etats-Unis par 10 (et la Chine a déjà dépassé la limite et qu’elle connaît une croissance de 10% par an). Et en 2050, avec 9 milliards d’habitants attendus, il faudra revenir à 330 kg !

Freddy a présenté une formule (équation de Kaya) qui donne les principaux paramètres sur lesquels on peut agir pour réduire les émissions de GES. Elles dépendent de :

·       Contenu en GES des énergies utilisées – Les énergies fossiles sont à proscrire, l’éolien, la géothermie ou le nucléaire sont au contraire bien placés

·       Intensité énergétique (le rendement par unité d’énergie consommée en quelque sorte). La France a fait 25% de mieux en 30 ans, c’est la bonne direction mais largement insuffisant pour compenser le reste.

·       Production par habitant (le PIB en donne une bonne approximation) : elle ne cesse d’augmenter au rythme effréné de la croissance. L’effet volume a augmenté en 30 ans pour les déplacements individuels, le chauffage, les transports, est resté stable pour l’agriculture, mais a diminué pour les industriels (ils ont bien compris l’intérêt des économies d’énergie).

·  Population mondiale : plus elle augmente, plus elle émet, c’est logique

C’est là qu’on comprend le mythe de la croissance infinie, cela donne une courbe exponentielle, qui est impossible par les simples lois de la physique : à un moment ça retombe toujours, pour une raison ou une autre. La décroissance peut être simplement présentée comme ça : l’impossibilité d’une croissance infinie et la surproduction actuelle des pays riches nous amènera tôt ou tard à décroître, c’est physique. Les travaux du Club de Rome en avaient déjà parlé ainsi en 1972, en disant qu’il faut remettre en cause le modèle de la croissance.

L’ère industrielle aura consommé toutes les ressources fossiles en deux siècles (alors qu’elles ont mis des dizaines de millions d’années à s’accumuler). Mauvaise nouvelle : il n’existe pas d’énergie équivalente. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à couvrir nos besoins sur leur base actuelle (exemple des biocarburants : la surface agricole nécessaire à leur production serait si grande qu’il n’y aurait plus de surfaces destinées à la production alimentaire : manger ou conduire, il faut choisir !).

Miser sur la technologie serait là aussi un mythe, une fuite en avant. Elle apportera des moyens de substitution mais sans commune mesure avec notre niveau de consommation actuelle. Il faut voir que la première source énergétique de décroissance s’appelle… l’économie d’énergie ! En fait, la première étape passe par la remise en cause de notre mode de vie, qui a un fondement culturel dont l’un des dogmes est l’accès à une énergie abondante et pas chère. C’est une véritable déconstruction de nos schémas mentaux que cela suppose. Il ne faut pas oublier que les plus jeunes générations auront plus de mal encore car ils n’ont jamais connu autre chose que le confort moderne.

Pour décroître de manière concrète et efficace dans notre vie quotidienne, il faut s’attaquer en priorité aux principales sources d’émission de GES. L’avion est un moyen de transport extrêmement dépensier en énergie (un aller simple Paris-New York frôle les 500 kg, c’est à dire le quota annuel). Les transports individuels sont beaucoup plus émetteurs s’ils sont faits en voiture plutôt qu’en train ou en transport en commun, l’idéal restant bien sûr la marche à pied et le vélo.

Dans nos pratiques alimentaires il faut aussi faire des choix. D’ailleurs, le premier secteur économique émetteur de GES, c’est l’agriculture. Notre modèle d’agriculture intensive est à ce propos voué à être fortement transformé : pour produire 1 unité énergétique alimentaire, il faut 3 unités énergétiques équivalent pétrole, alors que dans les pays pauvres, il en faut 0,2 seulement. Produit pas produit il y aussi des différences. Par rapport à un kilo de blé, produire un kilo de viande de porc ou de volaille émet 4 fois plus de GES, et pour un kilo de bœuf c’est 40 fois plus ! Autre chose : un bon moyen de réduire les émissions est d’éviter d’acheter des produits qui ont fait des milliers de km pour venir (poires d’Afrique du sud en hiver par ex.). Il vaut donc mieux consommer des produits locaux, si possible en vente directe (privilégier le marché au supermarché).

Le chauffage est également une cause conséquente d’émission de GES. Avant toute chose il faut penser économie avec le matériel existant (isolation, modération de l’usage : descendre d’1°C la température de la maison, c’est 7% d’énergie en moins). Ensuite, au moment de travaux importants pour changer le système de chauffage, on doit préférer des moyens de chauffage économes et pauvres en émissions (pas de solution toute faite).

Conclusion : la décroissance est une nécessité environnementale et physique incontournable. Elle demande un changement radical des mentalités dans nos pays riches. Mais la décroissance n’est pas la non-croissance. Ce n’est pas non plus le retour à u mode de vie type XIXème siècle ou à l’âge de la bougie, car d’énormes progrès indispensables (techniques ou sociaux) ont été faits et sont à sauvegarder. La décroissance est un mode de vie autre qu’il nous reste à inventer.

Débats et échanges autour de croissance et décroissance.

Il est bien sûr plus difficile de synthétiser cette partie en comparaison de l’exposé très structuré de Freddy. Toutes les contributions ne sont pas forcément présentes, ce qui n’est pas le but. J’ai essayé de dégager quelques thèmes majeurs parmi tous ces échanges et d’y rassembler diverses idées.

Un certain sentiment d’étonnement catastrophé a pointé dans plusieurs interventions. Certaines personnes disent même que l’on ne va pas vers la catastrophe, mais qu’on y est déjà, vu les guerres en cours pour s’accaparer les ressources (Irak). L’absence de réactions face à l’urgence de la situation effraie : la situation est désormais bien connue mais tout le monde s’en fout ! Mais alors que font nos gouvernements ? Et que font les médias ? Même si certains journaux ou hommes politiques parlent de réchauffement de temps en temps, cela n’atteint pas le fonctionnement de notre société nous demandant de toujours plus consommer.

Une des inquiétudes majeures partagée par plusieurs débatteurs concerne les risques de chaos et de totalitarisme : si la décroissance est imposée sans préparation, elle se fera sans doute en sacrifiant la démocratie et ses acquis.

Il a bien sûr aussi été évoqué la manière avec laquelle, au-delà de ce sombre constat,  pouvait s’envisager la décroissance, et sa mise en œuvre à l’échelle de nos vies quotidiennes et de nos sociétés. Les débats les plus animés lors de cet atelier ont tourné autour de l’action individuelle face à cette mise en œuvre de la décroissance, et deux positions se sont dessiné dans la salle.

La première position consiste à dire que chaque individu possède une part de responsabilité, même partielle, dans la société telle qu’elle est construite. Et même si la société n’est pas mûre pour la décroissance, l’individu conscient se doit de commencer, à son échelle, avec ses moyens. Lutter à son niveau contre la consommation n’a certes qu’une valeur matérielle réduite, mais a aussi une valeur symbolique pour les autres. Il offre aussi un moyen d’être plus en harmonie avec ses convictions personnelles, et l’avantage de pouvoir commencer tout de suite.

La seconde position s’appuie sur la primauté du mécanisme collectif sur le mécanisme individuel. Victime et otage d’un système de production et de consommation intensives, l’individu ne dispose d’aucune marge de manœuvre à son échelle, et sa seule chance de voir évoluer les choses passe par l’action collective, et c’est à cette action qu’il doit consacrer son énergie, pas à sa décroissance isolée et donc inutile.

Les tenants de ces deux positions ont évoqué des exemples tirés de leur expérience. Les premiers ont parlé par exemple du fonctionnement des SEL, d’actes de simplicité volontaire, ou de la mise en œuvre de pratiques écologiques (toilettes sèches). Les seconds ont parlé des expériences de lutte, en particulier dans le monde agricole, où les changements n’ont pu avoir lieu qu’en se battant collectivement, et où les bonnes volontés personnelles ne suffisaient pas.

Quelques tentatives pour trouver un compromis entre les deux visions ont été faites. Certains ont dit que la décroissance individuelle ne peut être une fin en soi, et qu’elle doit à tout prix s’inscrire dans un rassemblement collectif en réseau de ces expériences personnelles. Certains tenants d’une décroissance collective ont de leur côté proposé des moyens pour que des individus puissent afficher leur volonté de décroissance et de rupture avec le système : le statut d’objecteur de croissance en est un exemple.

Les interventions qui n’ont pas été dans le sens de la nécessité sans conditions de la décroissance n’ont pas été très nombreuses, mais se sont parfois exprimées. Une discussion s’est entamée sur la valeur travail, une personne précisant que dans les pays dits « pauvres », la grande majorité des gens veut travailler pour pouvoir vivre, et que l’homme a vocation à produire dans son existence : la décroissance est un débat pour pays riches. De manière similaire, des personnes ont mis en lumière le problème des chômeurs et des précaires en France, qui vivent dans un semblant de décroissance mais qui n’en est pas puisqu’ils la subissent complètement et ont le désir de pouvoir consommer comme la majorité des gens. C’est une réflexion sur les notions toutes relatives de richesse et de pauvreté qui s’est engagé. Certains intervenants ont insisté sur le fait que la pauvreté ne repose pas sur un problème de production mais bien de distribution (ou redistribution).

Une réflexion sur les « bienfaits » de la société de progrès dans laquelle nous sommes a amené le sujet de l’égalité hommes/femmes : notre société de consommation, par le temps gagné dans les tâches ménagères grâce à la technique, à la grande distribution ou aux plats préparés, a permis véritablement la libération de la femme. Si la décroissance est le retour de l’asservissement des femmes à leurs tâches ancestrales, quel est son intérêt ?

Comme on le voit ces thèmes de croissance et de décroissance laissent de nombreuses questions ouvertes, et les deux heures de cet atelier n’ont pas suffi, loin s’en faut, à épuiser le débat, à développer les alternatives. Et comme l’a rappelé l’un des intervenants, il faut savoir garder confiance dans l’être humain, dans sa liberté de pouvoir dire non et de résister, et dans sa capacité à imaginer et construire des formes nouvelles. C’est l’espoir qu’on peut formuler devant les temps difficiles qui s’annoncent pour l’aventure humaine.

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