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Compte rendu du 3ème Forum Social Limousin
Atelier 1 : Environnement,
"croissance, décroissance" Cet atelier sest déroulé en deux temps. Tout dabord Freddy Le Saux, rapporteur des travaux de cet atelier, a présenté durant une quarantaine de minutes les grandes lignes de la problématique du réchauffement climatique. Il a pu ainsi montrer que la logique de la décroissance sappuie directement sur ce problème de réchauffement. Sur la base de ce constat alarmant sest ensuite ouvert le débat proprement dit, qui a permis déchanger des points de vue sur la manière avec laquelle peut se construire un mode de vie décroissant, tant sur le plan individuel que collectif. Présentation des problèmes environnementaux liés au réchauffement climatique. Freddy précise dentrée pourquoi le titre de latelier est formulé ainsi : cest bien en partant dun constat sur lenvironnement que peut se construire ensuite un débat sur croissance et décroissance. Et le problème majeur denvironnement est aujourdhui celui du réchauffement climatique. Attention, ce réchauffement nest pas une pollution à proprement parler : le CO2 ou le méthane qui sont les principaux gaz à effet de serre (GES) sont tout à fait respirables et non dangereux pour la santé. Cest leur propriété de bloquer la chaleur provenant du sol qui est ici en cause. En quantité raisonnable, cette propriété est dailleurs favorable au développement de la vie. Mais cest laugmentation brutale du taux de GES dans latmosphère qui est le véritable problème : cela provoque un dérèglement climatique beaucoup trop rapide. Sur le plan scientifique, il nexiste aujourdhui aucun doute sur le phénomène grâce à lexistence du GIEC. Cest une commission créée sous légide de lONU et qui regroupe des milliers de scientifiques de tous les pays. Ils sont chargés de synthétiser dans des rapports lavancée des recherches sur le réchauffement. Tous leurs rapports ont été votés à lunanimité des membres. Le dernier, paru en 2001, est très clair : « Seules de très fortes réductions des émissions de GES pourraient atténuer les effets du réchauffement ». Cest déjà trop tard, le réchauffement est déclenché, on ne peut plus que ralentir sa progression. Pour bien comprendre à quel point la situation est en train de nous échapper, il faut savoir que les phénomènes climatiques ont une énorme inertie de plusieurs siècles. Même en arrêtant demain matin démettre du CO2, la température moyenne à la surface de la Terre augmenterait encore durant plusieurs siècles avant de se stabiliser au bout de 1000 ans environ. Le GIEC a tenté de faire des prévisions daugmentation de température pour 2100. Suivant les différents modèles, et les différents scénarios, il aboutit à une fourchette entre 1,5 et 6°C, sachant que sur le dernier millénaire, cela navait jamais varié de plus de 0,5°C. La période glaciaire précédente avait vu la température être inférieure de 4 à 5°C : il y avait 3 mètres de glace en permanence sur lAllemagne et le Royaume-Uni, et le niveau des mers était plus bas de 120 mètres ! Que se passera t-il alors avec plusieurs degrés de plus ? Impossible de le savoir puisque cest inédit dans lhistoire de lhumanité. Le GIEC juge très probable laugmentation du nombre des phénomènes climatiques violents (tempêtes, orages, canicules, cyclones, ). Un risque majeur concerne les écosystèmes naturels. Un changement de température brutal va modifier lemplacement des aires favorables pour les espèces végétales. Avec un réchauffement de 4°C au XXIème siècle, on estime un déplacement vers le nord de ces aires de 500 km en 2100. Pour les graminées, pas trop dinquiétude, mais pour les espèces darbres, qui peuvent mettre 50 ans pour atteindre leur maturité et ne se « déplacent » que de quelques kilomètres par siècle, les risques dextinction sont énormes. Quel est la cause de ce dérèglement climatique ? Aucun doute nest plus permis, il vient de lactivité humaine depuis lavènement de la période industrielle, cest à dire de lutilisation massive des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) qui émettent énormément de C02. Un autre problème nous menace sur ce plan, cest la disparition complète de ces ressources fossiles au cours du XXIème siècle au rythme actuel. Lère du pétrole naura été quun flash dans lhistoire de lhumanité. On pourrait croire que cest une « bonne » nouvelle pour leffet de serre : fin du pétrole, fin des émissions de CO2. Mais au rythme actuel de consommation avec une croissance de 2% par an, on atteindrait une émission de GES si énorme que même le GIEC ne prend pas en compte cette hypothèse tellement elle semble « folle » : il se passera quelque chose avant (par exemple les océans, qui absorbent aujourdhui le CO2, se mettront à en émettre eux aussi !) Comment revenir à léquilibre ? Il ne faudrait plus émettre que 3 Gtec (gigatonnes équivalent carbone) par an, actuellement nous en sommes à 7 Gtec environ. Aujourdhui ce sont les pays riches qui sont les principaux responsables : 20% de la population mais 70% des émissions de GES. Avec une population mondiale à 6 milliards de personnes, nous navons droit en fait de némettre que 500 kg chacun. Pour la France, il faudrait diviser par 4 les émissions, pour les Etats-Unis par 10 (et la Chine a déjà dépassé la limite et quelle connaît une croissance de 10% par an). Et en 2050, avec 9 milliards dhabitants attendus, il faudra revenir à 330 kg ! Freddy a présenté une formule (équation de Kaya) qui donne les principaux paramètres sur lesquels on peut agir pour réduire les émissions de GES. Elles dépendent de : · Contenu en GES des énergies utilisées Les énergies fossiles sont à proscrire, léolien, la géothermie ou le nucléaire sont au contraire bien placés · Intensité énergétique (le rendement par unité dénergie consommée en quelque sorte). La France a fait 25% de mieux en 30 ans, cest la bonne direction mais largement insuffisant pour compenser le reste. · Production par habitant (le PIB en donne une bonne approximation) : elle ne cesse daugmenter au rythme effréné de la croissance. Leffet volume a augmenté en 30 ans pour les déplacements individuels, le chauffage, les transports, est resté stable pour lagriculture, mais a diminué pour les industriels (ils ont bien compris lintérêt des économies dénergie). · Population mondiale : plus elle augmente, plus elle émet, cest logique Cest là quon comprend le mythe de la croissance infinie, cela donne une courbe exponentielle, qui est impossible par les simples lois de la physique : à un moment ça retombe toujours, pour une raison ou une autre. La décroissance peut être simplement présentée comme ça : limpossibilité dune croissance infinie et la surproduction actuelle des pays riches nous amènera tôt ou tard à décroître, cest physique. Les travaux du Club de Rome en avaient déjà parlé ainsi en 1972, en disant quil faut remettre en cause le modèle de la croissance. Lère industrielle aura consommé toutes les ressources fossiles en deux siècles (alors quelles ont mis des dizaines de millions dannées à saccumuler). Mauvaise nouvelle : il nexiste pas dénergie équivalente. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à couvrir nos besoins sur leur base actuelle (exemple des biocarburants : la surface agricole nécessaire à leur production serait si grande quil ny aurait plus de surfaces destinées à la production alimentaire : manger ou conduire, il faut choisir !). Miser sur la technologie serait là aussi un mythe, une fuite en avant. Elle apportera des moyens de substitution mais sans commune mesure avec notre niveau de consommation actuelle. Il faut voir que la première source énergétique de décroissance sappelle léconomie dénergie ! En fait, la première étape passe par la remise en cause de notre mode de vie, qui a un fondement culturel dont lun des dogmes est laccès à une énergie abondante et pas chère. Cest une véritable déconstruction de nos schémas mentaux que cela suppose. Il ne faut pas oublier que les plus jeunes générations auront plus de mal encore car ils nont jamais connu autre chose que le confort moderne. Pour décroître de manière concrète et efficace dans notre vie quotidienne, il faut sattaquer en priorité aux principales sources démission de GES. Lavion est un moyen de transport extrêmement dépensier en énergie (un aller simple Paris-New York frôle les 500 kg, cest à dire le quota annuel). Les transports individuels sont beaucoup plus émetteurs sils sont faits en voiture plutôt quen train ou en transport en commun, lidéal restant bien sûr la marche à pied et le vélo. Dans nos pratiques alimentaires il faut aussi faire des choix. Dailleurs, le premier secteur économique émetteur de GES, cest lagriculture. Notre modèle dagriculture intensive est à ce propos voué à être fortement transformé : pour produire 1 unité énergétique alimentaire, il faut 3 unités énergétiques équivalent pétrole, alors que dans les pays pauvres, il en faut 0,2 seulement. Produit pas produit il y aussi des différences. Par rapport à un kilo de blé, produire un kilo de viande de porc ou de volaille émet 4 fois plus de GES, et pour un kilo de buf cest 40 fois plus ! Autre chose : un bon moyen de réduire les émissions est déviter dacheter des produits qui ont fait des milliers de km pour venir (poires dAfrique du sud en hiver par ex.). Il vaut donc mieux consommer des produits locaux, si possible en vente directe (privilégier le marché au supermarché). Le chauffage est également une cause conséquente démission de GES. Avant toute chose il faut penser économie avec le matériel existant (isolation, modération de lusage : descendre d1°C la température de la maison, cest 7% dénergie en moins). Ensuite, au moment de travaux importants pour changer le système de chauffage, on doit préférer des moyens de chauffage économes et pauvres en émissions (pas de solution toute faite). Conclusion : la décroissance est une nécessité environnementale et physique incontournable. Elle demande un changement radical des mentalités dans nos pays riches. Mais la décroissance nest pas la non-croissance. Ce nest pas non plus le retour à u mode de vie type XIXème siècle ou à lâge de la bougie, car dénormes progrès indispensables (techniques ou sociaux) ont été faits et sont à sauvegarder. La décroissance est un mode de vie autre quil nous reste à inventer. Débats et échanges autour de croissance et décroissance. Il est bien sûr plus difficile de synthétiser cette partie en comparaison de lexposé très structuré de Freddy. Toutes les contributions ne sont pas forcément présentes, ce qui nest pas le but. Jai essayé de dégager quelques thèmes majeurs parmi tous ces échanges et dy rassembler diverses idées. Un certain sentiment détonnement catastrophé a pointé dans plusieurs interventions. Certaines personnes disent même que lon ne va pas vers la catastrophe, mais quon y est déjà, vu les guerres en cours pour saccaparer les ressources (Irak). Labsence de réactions face à lurgence de la situation effraie : la situation est désormais bien connue mais tout le monde sen fout ! Mais alors que font nos gouvernements ? Et que font les médias ? Même si certains journaux ou hommes politiques parlent de réchauffement de temps en temps, cela natteint pas le fonctionnement de notre société nous demandant de toujours plus consommer. Une des inquiétudes majeures partagée par plusieurs débatteurs concerne les risques de chaos et de totalitarisme : si la décroissance est imposée sans préparation, elle se fera sans doute en sacrifiant la démocratie et ses acquis. Il a bien sûr aussi été évoqué la manière avec laquelle, au-delà de ce sombre constat, pouvait senvisager la décroissance, et sa mise en uvre à léchelle de nos vies quotidiennes et de nos sociétés. Les débats les plus animés lors de cet atelier ont tourné autour de laction individuelle face à cette mise en uvre de la décroissance, et deux positions se sont dessiné dans la salle. La première position consiste à dire que chaque individu possède une part de responsabilité, même partielle, dans la société telle quelle est construite. Et même si la société nest pas mûre pour la décroissance, lindividu conscient se doit de commencer, à son échelle, avec ses moyens. Lutter à son niveau contre la consommation na certes quune valeur matérielle réduite, mais a aussi une valeur symbolique pour les autres. Il offre aussi un moyen dêtre plus en harmonie avec ses convictions personnelles, et lavantage de pouvoir commencer tout de suite. La seconde position sappuie sur la primauté du mécanisme collectif sur le mécanisme individuel. Victime et otage dun système de production et de consommation intensives, lindividu ne dispose daucune marge de manuvre à son échelle, et sa seule chance de voir évoluer les choses passe par laction collective, et cest à cette action quil doit consacrer son énergie, pas à sa décroissance isolée et donc inutile. Les tenants de ces deux positions ont évoqué des exemples tirés de leur expérience. Les premiers ont parlé par exemple du fonctionnement des SEL, dactes de simplicité volontaire, ou de la mise en uvre de pratiques écologiques (toilettes sèches). Les seconds ont parlé des expériences de lutte, en particulier dans le monde agricole, où les changements nont pu avoir lieu quen se battant collectivement, et où les bonnes volontés personnelles ne suffisaient pas. Quelques tentatives pour trouver un compromis entre les deux visions ont été faites. Certains ont dit que la décroissance individuelle ne peut être une fin en soi, et quelle doit à tout prix sinscrire dans un rassemblement collectif en réseau de ces expériences personnelles. Certains tenants dune décroissance collective ont de leur côté proposé des moyens pour que des individus puissent afficher leur volonté de décroissance et de rupture avec le système : le statut dobjecteur de croissance en est un exemple. Les interventions qui nont pas été dans le sens de la nécessité sans conditions de la décroissance nont pas été très nombreuses, mais se sont parfois exprimées. Une discussion sest entamée sur la valeur travail, une personne précisant que dans les pays dits « pauvres », la grande majorité des gens veut travailler pour pouvoir vivre, et que lhomme a vocation à produire dans son existence : la décroissance est un débat pour pays riches. De manière similaire, des personnes ont mis en lumière le problème des chômeurs et des précaires en France, qui vivent dans un semblant de décroissance mais qui nen est pas puisquils la subissent complètement et ont le désir de pouvoir consommer comme la majorité des gens. Cest une réflexion sur les notions toutes relatives de richesse et de pauvreté qui sest engagé. Certains intervenants ont insisté sur le fait que la pauvreté ne repose pas sur un problème de production mais bien de distribution (ou redistribution). Une réflexion sur les « bienfaits » de la société de progrès dans laquelle nous sommes a amené le sujet de légalité hommes/femmes : notre société de consommation, par le temps gagné dans les tâches ménagères grâce à la technique, à la grande distribution ou aux plats préparés, a permis véritablement la libération de la femme. Si la décroissance est le retour de lasservissement des femmes à leurs tâches ancestrales, quel est son intérêt ? Comme on le voit ces thèmes de croissance et de décroissance laissent de nombreuses questions ouvertes, et les deux heures de cet atelier nont pas suffi, loin sen faut, à épuiser le débat, à développer les alternatives. Et comme la rappelé lun des intervenants, il faut savoir garder confiance dans lêtre humain, dans sa liberté de pouvoir dire non et de résister, et dans sa capacité à imaginer et construire des formes nouvelles. Cest lespoir quon peut formuler devant les temps difficiles qui sannoncent pour laventure humaine. |
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