Nous, citoyens occidentaux,
vivons au-dessus des moyens de la planète

Ce n’est pas une remarque en l’air pour faire son intéressant, ni pour faire peur inutilement, c’est un constat froid et concret, malheureusement bien réel, détaché de toute idéologie.

Ce constat est fait à plusieurs niveaux, en observant notre écosystème sous plusieurs aspects. Il est fait également par toutes sortes d’observateurs de différents milieux.

Il concerne surtout notre façon de consommer l’énergie fossile : l’essentiel de nos activités est lié à son usage qui entraîne le réchauffement climatique. Ce phénomène du à l’augmentation des gaz à effet de serre libérés dans l’atmosphère, n’est pas une simple pollution comme les autres. Les phénomènes en jeu, jouent sur une très grande inertie quasiment irréversible à l’échelle humaine. Le scénario du laisser faire peut conduire à un emballement de l’effet de serre.

Pour revenir à un état d’équilibre, l’humanité a l’impérieuse obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre actuelles de moitié. Plus elle tardera plus graves seront les conséquences : températures plus élevées et accélération du phénomène. Si elle n’y arrive pas, nous irons vers le scénario catastrophe.

Je ne développerai pas ici l’argumentaire qui soutient ce constat, mais je rappellerai à ceux qui doutent encore, que nos amis étasuniens, (qui doutent aussi), ont demandé à leurs scientifiques de vérifier les conclusions du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) ; ils sont arrivés à des conclusions quasiment plus pessimistes.

A qui s’adresse ce constat ?

Aux 20% de l’humanité qui consomment 55% de l’énergie, mais aussi au 20% les plus pauvres qui n’en utilisent que 3% : pour leur dire que notre modèle de société n’est pas viable et surtout qu’il n’est pas généralisable à la planète entière. Si beaucoup le pressentaient depuis longtemps, aujourd’hui nous en sommes sûr.

Après 2 siècles de développement industriel, nous constatons que celui ci a contribué au bien être matériel des peuples qui en ont profité, nous a fait accéder à des choses inimaginables il y a un siècle, en quelque sorte un rêve réalisé : confort de nos maisons, facilité des déplacements, abondance, voire excès de nourriture, profusion de biens de consommation en tout genre, loisirs, communication…Notre problème n’est plus de trouver de quoi satisfaire nos besoins vitaux, mais d’arriver à choisir parmi toute l’offre qui nous est faite, d’où souvent un sentiment de frustration devant tant de sollicitation.

Malheureusement, si ce développement nous a apporté un bien-être matériel incontestable, il atteint ses limites aujourd’hui : épuisement des ressources en vue, pollution en tous genres par la profusion de nos déchets et de l’eau en particulier, recul des terres arables et de la biodiversité et dérèglement climatique, phénomène irréparable par l’homme.

En 2 siècles l’humanité a fait des « progrès » matériels inimaginables auparavant, parce que nous avons remplacé les esclaves par des machines voraces en  charbon, pétrole et gaz. Mais le réveil est difficile, c’est la gueule de bois, comme après une cuite, nous ne comprenons pas bien ce qui nous arrive, nous ne voulons pas y croire. Content pas content, c’est comme ça, nous ne pouvons pas continuer comme avant, parce que maintenant, nous entrevoyons les conséquences de notre développement purement matérialiste.

Je ne peux pas développer ici tous les aspects négatifs de ce développement du point de vue humain : les exclus, les injustices engendrées et le déséquilibre Nord-Sud. Je soulignerai seulement que le progrès technique n’a jamais été vraiment au service de l’homme. Nous n’avons pas su le maîtriser, il nous a échappé, il n’existe plus que pour lui-même et nous sommes devenus ses esclaves. Si a une époque on peut penser qu’il a servi la classe possédante et dirigeante, aujourd’hui, il échappe à tout control. C’est la loi du toujours plus, toujours plus vite, toujours moins cher. Au profit de qui ? - du consommateur ? Malheureusement le consommateur est aussi citoyen et ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre ? A quoi bon faire des produits moins chers en Chine, si celui qui les fabriquait avant en France ne peut plus les acheter ? Le progrès aurait du nous servir à travailler moins péniblement et moins longtemps, mais pas à produire plus au point de surproduire.

Un autre monde est possible ! Encore faut-il l’inventer.

L’humanité est à un tournant de son histoire, elle est en passe, par son mode de vie de dégrader lourdement son écosystème au cours du siècle et de provoquer une rupture dans la civilisation comme aucune guerre ne l’a fait auparavant.

Le but n’est plus aujourd’hui de se battre contre ceux qui se croient être les  dirigeants de la planète, chefs de grandes entreprises, lobbies de tout poil et hommes politiques, mais de retrouver un sens à notre vie. Faire le tri entre le vital et le superflu. Peut-on continuer à vivre comme des enfants gâtés en saccageant notre seule maison en voulant le beurre et l’argent du beurre? Ne pourrait-on pas essayer de retrouver notre place dans la nature et de vivre en équilibre avec elle, plutôt que d’espérer s’y soustraire.

Tout ceci c’est des mots, c’est très joli, un peu poétique et légèrement moralisateur… Concrètement qu’est ce que cela veut dire ?

Si nous vivons au-dessus des moyens de la planète, nous devons réduire notre train de vie. Il ne suffit pas de lutter contre les pollutions.

Par exemple, il est de bon ton dans la mouvance écolo d’être antinucléaire : c’est vrai ce n’est pas l’énergie la plus propre. Mais malheureusement les énergies fossiles sont encore pires à cause du réchauffement climatique. Alors doit-on choisir entre la peste et le choléra ? Pour être cohérent, si nous sommes antinucléaires, il faut aussi être anti-énergies fossiles et comme il n’existe rien qui puisse les remplacer au niveau de consommation où nous sommes, il faut être aussi anti-société de consommation. Concrètement, cela peut se traduire par l’exigence d’établir des taxes sur les énergies polluantes : taxes carbones sur les carburants fossiles, taxes sur l’électricité d’origine nucléaire si nous considérons que son usage est préjudiciable à l’avenir de l’humanité.

Assumons nos choix et nos angoisses : nous ne voulons plus de risques, alors acceptons de ne plus avoir l’abondance matérielle qui en découle. Exigeons de payer les produits à leur vrai coût. Sortons de la schizophrénie : du carburant à pas cher dans nos voitures, mais pas de pollution de l’air en ville, pas de réchauffement climatique et plus d’Erika et de  Prestige. Les grands méchants lobbies pétroliers ne sont pas seuls responsables, nous sommes leurs meilleurs clients.

La décroissance économique : est-ce la décadence de l’humanité ?

Vouloir régler efficacement les problèmes environnementaux conduit  à une décroissance de nos économies développées. Dans un monde fini les ressources sont limitées et la croissance ne peut être infinie.

A peine rentrés d’une conférence où ils ont exigé de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre, nos dirigeants ne jurent que par la croissance, la relance de la consommation. N’y a-t-il pas d’autres solutions ?

C’est bien là que nous devons faire preuve d’imagination et de création. Si nous voulons sauver la planète d’un désastre annoncé, c’est bien pour l’homme qui est dessus, il n’est pas question de sacrifier l’humanité pour préserver sa maison vide.

Devons nous nous résigner à aller vers un monde qui s’appauvrit, et qui ne serait que grisaille et tristesse. Pour ma part je me réjouis d’avoir à repenser ce monde. Nos sociétés développées font fausse route. Nous avons perdu la raison. Nos grandes structures sont devenues contre productives. Nous ne fabriquons pas des voitures parce que c’est le meilleur moyen de se déplacer, mais parce que si nous diminuons leur production, ça va faire des chômeurs. Résultat nos villes sont embouteillées et invivables, nos grands axes se grippent au moindre incident. Nos assurances et nos mutuelles ne sont plus là pour nous assurer mais pour faire fructifier des capitaux au profit d’on ne sait plus qui. Songez que le Crédit Agricole a été créé par des paysans pour aider les paysans, il n’existe plus que pour lui-même. Notre monde de la communication, communique tellement que c’est la cacophonie : le début du prochain match de foot cohabite avec les résultats de la guerre du week-end à moins que ne ce soit le contraire ! La publicité a envahi notre vie au point de la contrôler et de nous formater au modèle unique « homo consumérus productivus » etc. etc.…

 Nous avons tout à réinventer : notre façon de consommer, mais surtout notre façon de vivre ensemble évidemment.

La mutation doit être tellement profonde, que nous devons casser nos vieux schémas de lutte. Bien évidemment les problèmes d’aujourd’hui ne s’évanouissent pas pour autant, nous devons les revisiter avec un nouvel éclairage. Nous devons trier dans nos besoins entre le nécessaire et le superflu, en nous rappelant que la notion de richesse ou de pauvreté est quelque chose de très relatif.

Par exemple : réclamer la création d’une taxe carbone dans le contexte purement économique et concurrentiel actuel peut apparaître comme s’amputer d’un membre. Vu dans le long terme, c’est un outil de réglage pour réorienter notre société vers un mode de vie généralisable à tous. Pour développer un peu ce sujet, cette taxe n’étant pas faite pour enrichir l’état mais pour se prémunir d’un risque irréparable, elle peut servir à jouer sur d’autres curseurs de réglage : par exemple diminuer le coût des cotisations sociales pour garantir des salaires aux plus démunis, aider à la mutation en douceur des secteurs les plus touchés par l’abandon progressif des énergies fossiles…  à nous d’imaginer et d’adapter.

Evidemment une telle mutation, ne peut venir d’en haut, le gouvernement qui proposerait le carburant à 3 € le litre ne sera pas réélu et ne finirait sans doute pas son mandat. C’est à nous citoyens des pays riches de nous ouvrir les yeux, de voir la réalité en face. Nous sommes les héritiers de 2 siècles d’industrialisation qui ont beaucoup apporté à l’humanité, mais aujourd’hui nous savons que nous avons atteint les limites de la planète, nous lui demandons plus qu’elle ne peut nous donner. Pour reprendre une formule célèbre, je dirai que nous ne sommes pas coupables, mais aujourd’hui nous sommes responsables de l’avenir de notre écosystème et donc de nos enfants. Si nous ne faisons rien, nous serons coupables de ne pas avoir agi en temps et en heure. La nature a une grande inertie, mais les sociétés humaines aussi.

René Dumont qui a couru le monde en long et en large pour aider les plus pauvres était un visionnaire, il a dit il y a plus de trente ans : «  je ne vois pas d’autre solution que de vivre de façon plus spartiate. » Si nous ne l’écoutons pas, c’est la nature qui nous y contraindra et pas dans la douceur.

Une vie plus spartiate ne veut pas dire une vie pauvre, cela n’empêche  en rien une vie sociale beaucoup plus riche qui génère moins de tensions et moins d’exclus. Cela peut paraître un vœu pieux…

Pourquoi devons nous intégrer cette dimension dans nos revendications militantes?

L’homme est en passe d’endommager gravement son écosystème.

Continuer de se battre contre ce qui nous préoccupe aujourd’hui sans intégrer ce phénomène nouveau pour l’homme, c’est faire la politique de l’autruche. Les conséquences sont inéluctables et s’ajouteront aux problèmes actuels en les amplifiant à des niveaux non maîtrisables.

Ce n’est pas le pouvoir représentant la société de consommation qu’il faut mettre à bas, c’est le modèle. Les valeurs consuméristes qui régissent nos sociétés modernes ont beaucoup plus d’importance que le chef du gouvernement, qui n’est que le représentant de cette dîtes société. Nous sommes beaucoup plus tributaires de ces valeurs que de la couleur politique du gouvernement. Ce sont ces valeurs là qui nous dictent d’une façon beaucoup plus pernicieuse et plus dictatoriale que n’importe quel pouvoir comment nous devons vivre pour être reconnus et intégrés à la société. Notre première identité, c’est notre travail, notre niveau social, notre patrimoine. Etre intégré, c’est être un bon « consommateur-producteur ». Nous devons réinventer et se réapproprier notre vie, pour nous permettre de vivre en équilibre avec l’ensemble de l’humanité et la nature. Paradoxalement dans ce monde individualiste et atomisé, nous sommes terriblement interdépendants, nous avons perdu toutes marges de manœuvre pour nous libérer du système.

 Nous devons  « Penser global, agir local » : c’est parce que nous sommes, nous, citoyens français en train de participer au pillage de la planète, qu’il y a des sans papiers en France. Il est plus efficace pour l’avenir d’apprendre à vivre autrement que de se battre pour qu’ils aient des papiers aujourd’hui.

Nos valeurs de concurrence, de compétition, de conquête de nouveaux marchés sont mortifères. Ce pas de l’idéologie de dire cela, c’est un constat de bon sens  qui repose sur les lois des mathématiques et de la physique. Nous vivons dans un monde fini et la nature aura toujours le dernier mot.

Avant de nous lancer dans la bataille pour qu’un autre monde soit possible, commençons par faire le ménage devant notre porte. Nous, citoyens occidentaux, avons une lourde responsabilité, prenons conscience des possibles, regardons loin au-delà de nos frontières, de nos problèmes francofrançais  et dans le futur. Par notre travail, notre consommation, nous alimentons quel système ? Quelles sont nos marges de manœuvre pour se libérer de l’auto entretien du système que nous contestons ?

Une fois de plus, cela paraît moralisateur. Mais je crois sincèrement qu’il faut plus s’interroger sur nous même, que de contester je ne sais quel pouvoir. Je pense qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion. La publicité a plus de poids pour entretenir le système que le G7, le FMI ou l’OMC. C’est notre mode de vie qui est en cause, beaucoup plus que le pouvoir qui le représente.

A mon avis les problèmes environnementaux et le réchauffement climatique en particulier, sont un levier d’action très puissant pour contester la mondialisation libérale. Le marché ne peut pas prendre en compte ces problèmes là : c’est un constat qui se confirme un peu plus chaque jour. C’est un levier dont nous devons nous emparer sans vergogne pour contester la société libérale. Si nous ne le faisons pas, les libéraux le feront à leur sauce, en nous faisant avaler quelques couleuvres et en ajoutant des problèmes aux problèmes dans une fuite en avant délirante. Nous, nous devons l’utiliser pour montrer que la consommation de masse a causé et causera beaucoup plus de dégâts qu’elle n’a apporté de bien être sur cette terre et accepter de quitter cette dîtes société de consommation et de « progrès » .

Le réchauffement climatique et l’épuisement des énergies fossiles condamnent bien plus sûrement que tous les contestataires notre modèle de développement. A nous de nous en convaincre, de nous emparer de ce levier avant que la nature le fasse à notre place plus violemment.

Freddy Le Saux
Mars 2003

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